Voici un excellent article de
Frédéric Blayo, paru dans le non moins excellent magazine Casus Belli (n°5, Déc. 200 - Jan. 2001)

La collection « Présence du Futur » est morte. Et je suis triste. Je me souviens de tous ses volumes, qui ont accompagné ma découverte de la SF, de ses couvertures si reconnaissables, de son air un peu collet monté et élitiste, genre SF intello, sans extraterrestre borgne à trois seins et vaisseaux fumants sur la couverture. Je me souviens que mes parents voyaient d'un bon oeil la collection, alors qu'un anticipation Fleuve Noir avec une couverture de Brantonne faisait se lever un sourcil courroucé. Je me souviens de « Présence du Futur »...

L'HISTOIRE

Dans la France du début des années 50, il y avait deux collections qui deviendront mythiques, la collection « Anticipation » du Fleuve Noir (1951) et « Le Rayon Fantastique » (de 1951 à 1964, 119 volumes), coédité par les maisons Hachette et Gallimard. Si « Anticipation », à quelques exceptions près, s'est cantonnée à des auteurs français, « Le Rayon Fantastique », dirigé par Michel Pilotin (qui écrira des romans de SF sous le pseudonyme de Stephen Spriel) et G.H. Gallet, publie de nombreux romans anglosaxons. Deux traditions coexistent alors dans la science-fiction : le roman merveilleux scientifique à la française, dans la tradition de Jules Verne, Maurice Renard ou Barjavel, et une tradition plus moderne, importée avec les pulps arrivés dans les poches des soldats américains.

C'est alors qu'apparaît Valérie Schmidt et La Balance, nom de la librairie spécialisée en sciences humaines où elle travaille. Valérie Schmidt voit dans la sciencefiction la possibilité d'aborder des sujets philosophiques sous forme de romans d'aventures, de réfléchir à des problèmes fondamentaux des sciences humaines sous forme ludique. Elle persuade, en 1952, le propriétaire de la librairie, Jean Aubier, de la laisser organiser une grande exposition sur la sciencefiction, qu'elle préparera pendant un an avec l'aide, entre autres, de Michel Pilotin et Jacques Bergier. Il faut imaginer cette époque de grande confiance en la science, de technologies nouvelles, où la SF est nimbée de l'aura d'une nouvelle littérature. Fin 1953, la librairie rouvre ses portes pour présenter l'exposition intitulée «Présence du Futur», en y invitant tout le milieu littéraire parisien. L'exposition aura beaucoup de succès, durera environ un an, et réunit tous ceux qui auront ensuite une influence sur la SF en France ces cinquante dernières années, de Jacques Bergier à Gérard Klein, de Philippe Curval à Jacques Sternberg.

Michel Pilotin, encouragé par le bouillon de culture engendré par l'exposition de la librairie La Balance, propose alors à Gallimard la création d'une collection de sciencefiction de prestige, plus littéraire, plus élitiste, qui aurait côtoyé la collection « Le Rayon Fantastique ». Chez Gallimard, on commence par accepter, puis on tergiverse. Le projet patine. Làdessus, Gallimard rachète les éditions Denoël, sans succession depuis la mort de Robert Denoël, assassiné à la Libération, et place à leur tête Robert Kanters, qui dirigeait alors le comité de lecture de l'éditeur Julliard, en tant que directeur littéraire. Il hérite à ce titre du projet de collection « élitiste », passé de Gallimard à Denoël, laquelle collection va s'intituler « Présence du Futur ». Contrairement à l'idée reçue, Robert Kanters n'est donc pas le fondateur de la collection.

Le premier titre, le célébrissime Chroniques martiennes de Ray Bradbury, paraîtra en avril 1954, avec la tout aussi célèbre maquette de Massin, qui sera utilisée jusqu'en 1976. Les premiers titres publiés seront des manuscrits choisis par Michel Pilotin (il avait acheté à l'origine les droits de Chroniques Martiennes pour «Le Rayon Fantastique»), puis ce sera les choix de Robert Kanters, aidé par Pilotin et Jacques Bergier (dont la revue Planète était diffusée par Denoël), éminences grises l'aidant à sélectionner les titres à traduire jusqu'au milieu des années 60. Et rapidement, après 23 volumes de grand format, la collection passe au format poche. C'était l'époque de l'explosion des ventes de livres au format poche et de la culture mise à la portée de tous.

A la fin des années 60, la collection s'endort tout doucement sur ses lauriers. Kanters est désormais seul pour les choix d'ouvrages et il commet quelques erreurs. En particulier, il refusera Dune de Frank Herbert, ainsi que Philip K. Dick. C'est l'occasion pour la concurrence de réapparaître, avec les éditions Opta et la collection «Ailleurs et Demain» de Gérard Klein chez Laffont.

Robert Kanters prend sa retraite en 1975. La collection connaît alors un flottement, on parle de l'arrêter. Elisabeth Gilles, lectrice pour Denoël en littérature anglosaxonne depuis 1968 et, à ce titre, parfaitement au courant des agents, auteurs et éditeurs étrangers - obtient le poste de directrice de collection. Ses idées pour renouveller l'image de la collection, couplées à une volonté du service commercial de faire vendre la sciencefiction en supermarchés et, pour cela, de changer l'image élitiste de la collection, aboutissent à l'abandon de la maquette de Massin, remplacée par l'image de la sphère illustrée sur fond coloré qui sera utilisée jusqu'en 1983 (maquette de Stéphane Dumont). Elisabeth Gilles récupère Philip K. Dick (pour ses quatre derniers romans), lance l'édition intégrale de ses nouvelles, découvrira Donald Kinsbury (Parade Nuptiale), John Varley, Gene Wolfe, Douglas Adams, les premiers auteurs cyberpunk (Williams, Sterling...), etc. Elle accomplira un véritable travail de directeur de collection avant de partir en 1986. Elle sera remplacée par Jacques Chambon. S'ouvre alors une période de déclin due à plusieurs facteurs.

D'abord le modèle économique des premières années ne fonctionne plus, ce n'était plus possible de proposer de la SF moderne et inédite au format et au prix du poche, compte tenu de la mauvaise diffusion de la collection. Ensuite, les choses avaient duré vaille que vaille parce que deux locomotives, Bradbury et Asimov, permettaient à la collection de continuer à proposer des titres plus difficiles. Cependant, les commerciaux de Denoël décident dans les années 80 de privilégier une rentabilité à court terme. Malgré la tentative réussie, mais trop tardive, de proposer des rééditions des classiques du fonds à 29 F, puis à 25 F, on finira par arriver pour les nouveautés à un prix prohibitif de 63 F. Jacques Chambon naviguera entre les diktats des commerciaux et les diverses politiques éditoriales de Denoël. Par exemple, la collection « Présences » (19951998, 45 titres) sera créée suite à la volonté de la direction de faire des grands formats plus rentables. Ce sera un lamentable échec commercial. La collection « Présence du Fantastique » (19941998, 64 titres), collection sur, n'aura pas plus de chance ; il est vrai que les livres étaient très chers (et très laids). Chambon démissionne, en avril 1998, et sera remplacé par Serge Brussolo. L'idée du directeur de Denoël de l'époque est de faire de « Présence du Futur » une collection beaucoup plus orientée vers la littérature adolescente. Le projet fera long feu, ce directeur étant remplacé en août 1998 et Brussolo donnant sa démission en octobre. Il est à son tour remplacé par Gilles Dumay, mais il est trop tard. La collection ne publiera presque plus d'inédits, se contentant de rééditer des classiques parus chez d'autres éditeurs. Le dernier titre paraîtra en avril 2000 dans un contexte de plan social et de vagues de licenciements...

La collection aura publié environ 620 titres (il y a 632 numéros, plus le dernier, numéroté 666, vu le titre : Route 666 de Zelazny) mais, comme il y a une quinzaine de numéros double, en 46 ans. Une myriade de titres et d'auteurs prestigieux, anglosaxons, français, mais aussi italiens ou des pays de l'Est. Denoël va continuer à exploiter le fonds, les lecteurs intéressés pouvant commander les livres encore disponibles jusqu'à épuisement.

LE FUTUR

Suite à cette triste fin, la décision de relancer une collection de SF fut prise chez Gallimard, cette foisci sous la bannière « Folio », en piochant dans le riche catalogue de « Présence du Futur ». La future collection permettant des tirages plus importants et des prix inférieurs grâce à la diffusion beaucoup plus large de «Folio» (10 000 à 15 000 exemplaires contre 5 000 en moyenne pour « Présence du Futur »), mais aussi la résurrection de vieux titres du catalogue, voire de titres plus récents, mais passés inaperçus. Le projet a évolué, mûri, jusqu'à devenir la collection « Folio SF », laquelle publiera environ 50 titres par an (à comparer aux 20 par an que publiait Denoël), la plupart venant du fonds « Présence du Futur », mais pas tous. Par exemple, 6 des 30 premiers titres ont été achetés à l'éditeur L'Atalante. Il est envisagé de publier, dès la deuxième année, quelques inédits, romans ou recueils de nouvelles (3 ou 4 par an), voire de refaire les traductions de certains titres, etc. Les 30 premiers titres de « Folio SF » sont parus en octobre, avec un prix moyen inférieur à celui auparavant pratiqué. Les livres sont très beaux, avec des couvertures illustrées par la photographie.

Mais on regrettera la disparition d'une collection dont le nom a été pendant fort longtemps une marque de qualité, une des collections phares de la SF française des cinquantes dernières années.

Frédéric Blayo

Remerciements à Yvonne Maillard et à Sébastien Guillot

© Frédéric Blayo / Casus Belli (2000)